On ne cesse de nous le répéter:
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Le marché de l’auto
de collection
a flambé.
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La presse spécialisée s’en donne à cœur joie sur les raisons d’un tel engouement. Plus généralement tout le monde y va de sa petite théorie: Spéculation? Réalité? Tassement? Nous sommes abreuvés de concepts et d’explications sur la rareté, l’état d’origine, les historiques limpides. Des spécialistes donnent plein d’avis super complexes. Nous calculons des indices façon NASDAC…
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Le collectionneur
devient un trader
à la clef de 13…
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C’est vrai que le monde de la collection automobile évolue énormément et très vite. La révolution numérique confronte l’acheteur à un choix de voitures illimité. Il dispose d’une vision mondiale de son modèle, peut commander ses pièces qui sont toutes disponibles en deux clics. Ces évolutions rendent accessible ce marché complexe au néophyte.
Faut dire, il bouffe de l’ancienne matin midi et soir: Jean Pierre Pernaut lui parle de mine d’or, les médias spécialisés font tout pour guider les nouveaux acheteurs à coups de grands titres « Achetez ceci ou cela avant qu’il ne soit trop tard ». Même les parfumeurs de luxe se mettent à lui montrer des bimbos en Miura, 190SL ou Interceptor… heureusement que la télévision n’a pas d’odeur.
Résultat: Le nombre de collectionneurs d’automobiles anciennes est de plus en plus important.
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Il n’est cependant pas évident pour le béotien de comprendre les codes de ce marché très original, de franchir le pas, les guides d’achats se concluant toujours par «préférez un exemplaire en bon état d’origine». C’est un peu comme quand on achète une maison, tout le monde vous dit «il faut négocier les taux»… mais personne ne vous explique comment…
Encore l’autre jour j’ai lu un conseil d’achat dans la presse : « préférez une marque collectionnable »
????
Alors comment vous expliquer? À vous qui n’y pipez rien à ce truc…
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La théorie
de la valeur
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Vous avez hérité de votre mamie? Fourgué votre entreprise à des roumains? Vous vous demandez si ce marché suit les standards économiques normaux? Mais c’est quoi déjà qui donne de la valeur à un objet ?
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La valeur
par la
rareté
Un diamant vaut plus cher que de l’eau de mer parce que c’est plus rare…
En automobile, elle se retrouve de trois façons:
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1-Rareté des matériaux utilisés
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Donc une caisse en aluminium sur votre 275 GTB ou des sièges en fesses de grenouilles lui ajoutent forcément de la valeur.
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2- Rareté de l’auto
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Les séries limitées, les autos avec un faible taux de survie ou une histoire exceptionnelle garantissent en général au spéculateur un meilleur retour sur investissement. Ce principe confine même à l’absurdité par moments. Par exemple, tout ce qu’a possédé Steeve Mc Queen bénéficie d’une aura exceptionnelle: Persol, Rolex, et que dire du prix de sa XKSS.
Toutefois, l’excuse de la rareté ne suffit pas. Ce n’est pas parce que vous n’en voyez pas souvent que c’est rare (CF: Renault 4CV, MG B…).
D’autre part, c’est pas parce que c’est vraiment rare que c’est cher. Le marché a toujours eu une cohérence: une auto qui ne s’est pas bien vendue à une époque était une auto sanctionnée par le consommateur. Soit elle était mal comprise, soit mal distribuée, et dans ces deux cas, vous avez peut être un truc intéressant, soit elle était fondamentalement à chier et elle l’est toujours (ex: Dodge Lancer, …), et là, vous avez un truc rare dont personne ne veut..
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3- Rareté de l’état
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Certains résultats d’enchères peuvent vous coller au siège, ou de façon plus réaliste, vous amener à spammer tous les sites d’automobiles en vous montrant blasés parcequ’une coccinelle s’est vendue 100 000 €. Oui, mais cette coccinelle est de 1953 et n’affichait que 70 kilomètres d’origine. Elle est unique. Elle est chère…
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La valeur
par le
travail
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Chère à Marx, c’est la théorie économique qui domine encore de nos jours et explique que ce qui confère de la valeur à un bien c’est la quantité de travail incorporée en lui. Qu’il s’agisse du travail pour concevoir la voiture, la dessiner, la motoriser, la piloter ou la restaurer. Comment? les Renault de la Régie? Là aussi, si le designer a mieux travaillé, ainsi que le motoriste et que le pilote a tout gagné le véhicule vaudra évidement plus cher, beaucoup plus cher…
Donc cher newbie, si votre barn find réunit les trois, matériaux nobles, rareté et un travail démentiel vous obtenez par exemple la W196 de Fangio (qui n’est pas donnée).
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Ces théories ne vous apportent pas grand chose?
Vous le saviez déjà?
Creusons plus loin.
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C’est
une
aberration?
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Donc d’un côté le marché de la vieille chignole suit la logique de la valeur propre à tout bien de consommation. Mais il a quand même des caractéristiques très originales par rapport à d’autres: Déjà c’est un marché très jeune. Les premiers collectionneurs ont débuté dans les années 1950, ce qui n’est pas le cas de celui des produits agricoles (5000 avant JC).
Ensuite c’est une aberration économique, une erreur du système: D’après nos amis économistes nobéllisés, la valeur d’un bien ne dure pas. Pour certains d’entre eux elle disparaît dès l’acte d’achat, pour d’autres, dans l’acte de consommation. En tout cas ils sont tous d’accord pour dire que la valeur devient nulle. La preuve, dès que vous avez fait 10 bornes avec votre tout nouveau crossovaire, 30% de sa valeur ont déjà disparu.
Mais voilà: Nos vieilles autos n’accompagnent pas nos vieilles machines à laver, vieilles téloches et tout ce qu’on a consommé à la benne. Un événement perturbant s’est produit: Au moment où mamie a voulu foutre la Delage D8S à la casse, après s’être offert sa nouvelle Jag’, papy est sorti et s’est écrié «Non Ginette! On la garde!». Puis il l’a revendue à deux frères vers Mulhouse.
Les prix nobels se sont alors tous retournés dans leur tombe. C’est le bug d’un système jusqu’alors parfaitement huilé. Non seulement il n’y a pas eu destruction, mais encore pire, il y a eu une augmentation de valeur qui, de propriétaire en propriétaire, ne s’arrête toujours pas.
Autre originalité, c’est un marché très localisé qui s’est développé essentiellement dans les pays occidentaux. Aujourd’hui au Qatar les voitures de sport finissent un cycle économique normal, comme tout bon produit, à la casse. Et nous, nous hurlons de les voir dans les terrains vagues, mais au fond, n’est-ce pas normal?
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Restaurer
c’est
détruire?
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La destruction d’un bien et de sa valeur est liée à son usure. Bon, c’est difficile d’user un Claude Monet des yeux, et la conservation de la peinture est un usage bien ancré… Cela peut expliquer que l’automobile se différencie du monde de l’Art.
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On retrouve cette idée de destruction des objets chez les archéologues. Lors des fouilles ils effectuent un relevé des strates, prennent des photos, car pour fouiller la strate suivante il faut détruire la première. Les vestiges sont sortis mais à la fin de la campagne le site est considéré comme détruit, ce n’est plus comme c’était et on ne peut plus revenir en arrière.
Vous retrouverez cette idée dans l’automobile classique, car lorsqu’on restaure une voiture l’originalité au sens strict est détruite, il y a transformation.
Deux écoles s’affrontent alors. On peut en débattre des plombes: certains refont tout, d’autres maintiennent en l’état. Il faut bien se rendre compte que les deux supposent un travail énorme et des prises de décision cruciales. On peut tout de même s’accorder sur le fait qu’il est plus difficile de restaurer une pièce existante et de la maintenir fonctionnelle que d’en monter une neuve.
Comme je vous le disais ce marché est jeune. Mais il a appris de ses erreurs. Initialement, la tendance était de tout gratter, tout refaire, la destruction de l’état d’origine était poussée au maximum.
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Dans les années 90,
les chromes et les jantes brillaient,
les cuirs couinaient,
les peintures éclataient.
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Puis à la fin des 90’s on a préféré maintenir l’état original lorsqu’on s’est aperçu que les voitures trop transformées par leurs restaurations étaient devenues moins attrayantes. Lorsqu’on est propriétaire d’une auto ancienne on détient un pouvoir absolu: le pouvoir de la modifier, ou de la laisser rouiller sous la flotte. Toutefois, certaines voitures deviennent de véritables personnes morales, presque des entreprises. Elles ont leur communication, leurs investisseurs, elles génèrent des bénéfices, les propriétaires défilent, on les oublie souvent, mais on oublie jamais la voiture.
Du coup, avec le recul, on se dit que le seul pouvoir qu’ont eu les détenteurs successifs de la carte grise se limite à avoir abîmé ou amélioré la voiture.
Vous l’avez bien vu lorsque vous avez été médusés (comme nous) par la vente de la collection de Monsieur Baillon, la rouille peut valoir de l’or, certaines autos de cette vente étaient en mauvais état, mais d’origine et ont atteint des prix de voitures restaurées.
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Peter Mullin (vous découvrirez ce jeune collectionneur par vous même), Peter donc, a alors dit qu’il ne fallait surtout pas les refaire pour préserver leur valeur. Au début cela m’a laissé songeur… puis lorsque j’ai lu récemment que la Ferrari roulait à nouveau et que le propriétaire ne voulait pas qu’on y touche, jusqu’à la disposition de la poussière… J’ai pensé qu’il avait peut-être raison.
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Vous verrez, le bleu, quand vous nous aurez rejoint dans cette folle aventure, vous serez tentés de tout refaire à la première critique, mais un conseil, ne cédez pas! Moi on me dit que je n’ai pas fait repolir mes roues, pas refait mon toit vinyle, que mes chromes sont rayés… que mon intérieur est passable… et bien je m’en fous! Ca me coûte moins cher à refaire et ça évite l’annonce fâcheuse, vous savez, celle qui vous fait peur… celle qui vous fait penser qu’il vaut mieux investir dans l’immobilier:
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«Vends XXXX 1972,
restauration totale depuis châssis,
CT OK, dossier + de 20K€ de factures…
bradée 12 000 Euros»
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Et oui, c’est un rêve, un projet, un concept que vous voulez acheter. Pas un dossier qui étale une quantité de pièces neuves indiquant que la voiture n’est plus vieille. Les ventes le démontrent, des autos (mêmes pourries) vierges de toute restauration atteignent des sommets.
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Le producteur
masqué
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Vous qui venez du secteur agricole vous savez qui sont ses producteurs. Un marché ça se caractérise surtout par sa production. Et bien chez nous c’est assez mal définit. On nous dit que la production est celle des constructeurs automobiles. On nous dit que tel ou tel modèle a été produit à XXX exemplaires, que son siège couine, et bien sûr qu’il vaut mieux trouver un exemplaire en bon état d’origine…
Or, concernant le marché de l’automobile de collection, la notion de producteurs est différente. Je suis convaincu que ce sont ceux qui dénichent, maintiennent, restaurent, et apportent des voitures sur le marché. Ce sont des restaurateurs particuliers, professionnels, des vendeurs spécialisés, des fabricants de pièces. Ils sont accompagnés par des historiens, des journalistes, des organisateurs d’évènementiel, des maisons de vente aux enchères etc…
Sinon comment feraient les marques disparues? Et comment expliquer les répliques? Là aussi c’est un sujet intéressant. Le marché propose une offre globale stable. C’est problématique lorsqu’on est confronté à une demande croissante… Du coup on apporte des biens en faisant du vieux avec du neuf et même ces derniers prennent de la valeur à leur tour.
Ces producteurs sont les hommes de l’ombre. Les garages se font discrets, on ne peut pas montrer que le moteur de la Voisin de Monsieur le Vicomte a explosé et que la moitié de la voiture n’est plus à cause de la rouille. Non! on vous la montrera seulement quand elle sera finie. Parfaite. Produite par Gabriel, avec historique. Servie avec une belle communication avant les enchères. C’est toute une chaîne de petites mains qui crée cette richesse, c’est dans leurs magazines, dans leurs entreprises que les investissements du secteur sont faits, pas chez les constructeurs voyons!
Quoi que… ces derniers ont compris la manne que représente le haut de gamme du marché et l’enjeu pour eux en termes d’image. Du coup c’est une nouvelle fontaine de jouvence: si votre Testarrossa est en fin de vie, elle peut retourner se faire une fraîcheur chez son créateur. Retour sur investissement garanti.
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Il vaut donc mieux vous conseiller de commencer par rencontrer des mécaniciens, trouver quelqu’un de confiance, et suivre ses avis avant l’achat. Le plus souvent, les projets des grands collectionneurs sont étudiés et réalisés sous l’encadrement de leur restaurateur. Et oui.
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Un marché
c’est surtout le lieu où
se fixent les prix.
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Et c’est bien là le plus rigolo. Dans l’auto ancienne c’est de plus en plus le domaine des maisons de vente aux enchères, vous verrez qu’avant la vente il y a toujours une estimation (correspondante à la valeur (subjective) dont nous parlions tout à l’heure et le résultat: le prix après la vente (objectif celui là).
Cette différence de notion entre celle de la valeur, c’est-à-dire une idée qu’on se fait de ce que vaut une voiture et la notion de prix, c’est-à-dire combien on la paye vraiment est toujours sujette à débats.
Encore hier je lisais sur les réseaux sociaux à propos de la dernière Alpine du Mans vendue que « l’argent pourrit tout », que « la même restaurée s’est vendue la moitié du prix », que « c’est indécent », alors qu’elle est rare, n’a jamais été restaurée, complète, palmarès… What else ?
Ainsi notre marché fonctionne à l’envers, si vous avez pleuré la baisse des cours des produits agricoles vous serez très étonné de constater que dans l’automobile de collection les types gueulent… quand les prix montent:)
Pourtant quand on pense le marché dans sa globalité il est logique que le plus il y aura d’argent investit dedans, le plus les côtes de TOUTES les voitures monteront. Mais rassurez vous, les types râlent toujours sauf quand c’est leur propre voiture qui se vend…
Donc nous vous conseillons de choisir une auto pas trop bricolée avec la bénédiction de votre restaurateur, de ne rien écouter des critiques qui vous seront faites, de fuir les restaurateurs qui veulent tout changer sur votre voiture, d’être ravi quand les cours explosent et lorsque vous l’aurez acheté votre joujou, vous apprendrez qu’il existe quand même une chose qui réunit absolument tous les collectionneurs:
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Excellent article, comme d’hab! Plaisir de lire…
Excellent : merci pour cet article amusant et qui pourtant assène un grand nombre de vérités.
superbe chute.
Génial! Tout y est! La chute est parfaite!
En effet, très bon article ! (y)