Ténèbres lumineuses et autres univers: The dark side of Post Rock

Post rock, post rock, post rock… Que serions-nous sans toi ? Tu nous redonnes espoir quand tout va mal, tu es le support de nos rêves les plus fous, tu es un concentré de mémoires et de nostalgie. Tu nous offres tout sans presque jamais rien nous réclamer.

Voici quatre albums que j’aime et que pas assez de personnes ne connaissent. C’est le moment de me faire confiance…

 

Carissa’s Wierd – Songs About Leaving (2002) Sad Robot

 

 

Carissa’s Wierd (oui, l’erreur du “weird” est intentionnelle) est un groupe exceptionnel. Et un blog entier ne suffirait pas à décrire l’amour que je leur porte, si toutefois j’étais assez doué pour retranscrire en mots les frissons déchirants que peuvent procurer leurs titres.

Cette formation maudite et légendaire de Seattle s’est prouvée capable, durant sa presque éphémère existence, de contenir toute sa rage et sa furie et de livrer à une poignée de privilégiés une musique dont la beauté, la précision et les détails restera gravée en eux probablement ad vitam.

Ce Songs About Leaving parle de rupture, de deuil, de rêves perdus et de départs pour quelque raison, et parvient à le faire sans virer dans le larmoyant ou le lyrics writing démago. Articulé autour de textes rappelant par moments la poésie triste et pourtant pétrie d’espoirs dissimulés de Low ou de Azure Ray, l’album est porté par la voix de Mat Brooke, à la retenue exceptionnelle se situant parfois quelques mesures seulement plus haut qu’un chuchotement, et par celle de Jennifer Ghetto dont le timbre rappellera inévitablement celui de Björk.

Et ce disque impressionne. Foutrement, même. La qualité des arrangements et la méticulosité des mélodies alliés au duo Brooke-Ghetto, eux-mêmes portés par une guitare, un piano et un violon tellement à fleur de peau qu’on les croirait doués de vie et présents parmi nous… Le tout drapé par ce sentiment de beauté perdue présent dans chaque titre… Difficile de faire plus crève-cœur, le groupe offrant une sorte de grand huit d’émotions, chavirant entre l’acidité de la guitare et la voix désincarnée de Ghetto sur “So you wanna be a superhero” à l’intensité lacérante et la délicatesse désabusée de “September come take this heart away”.

Chaque chanson de Songs About Leaving raconte une histoire, et chacune de ces histoires est la nôtre, que l’on a en commun avec ses amis, sa famille, ses amours perdus ou ses propres rêves. C’est extraordinaire d’écouter un album qui vous donne de la première à la dernière seconde ce que vous espériez de lui, et le fait sans aucune rupture, sans jamais verser dans le mélo sonore, et sans jamais se moquer de vous et de votre fragilité. Simplement en prenant à bras le corps cette  espèce d’amertume poétique à la fois intime et universelle, que Sparklehorse a tout juste effleuré sur certains des beaux morceaux de It’s a wonderful life, et en vous la transmettant, avec cœur et justesse.

 

Après l’aventure Carrissa’s Wierd, Mat Brooke forma Band of Horses, puis Grand Archives. De son coté Jen Ghetto est devenue “S” sous le label Suicide Squeeze. Hardly Art quant à eux, ont eu l’excellente idée de sortir They’ll Only Miss You When You Leave: Songs 1996-2003 rassemblant (dans un ordre pas toujours heureux, et avec quelques oublis) les titres les plus marquants du groupe de Seattle.

 

 

MONO & world’s end girlfriend – Palmless Prayer/Mass Murder Refrain (2006) Temporary Residence

 

 

J’ai toujours pensé que violons et violoncelles étaient les instruments les plus tristes au monde. La résonance des cordes sur le bois possède ce quelque chose de profondément touchant, au point qu’on pourrait s’imaginer que leur fréquence est directement reliée par câble à haut débit aux âmes de leur auditoire (pour peu qu’il leur en reste quelques unes).

Après avoir usé plus que de raison le Ocean Songs des Dirty Three, je pensais que je ne pourrais plus aller beaucoup plus loin dans ce registre de cordes abattues, sombres et pourtant terriblement belles. Jusqu’à ce que World’s end Girlfriend et MONO décident de nous livrer leur ténébreux thème de fin du monde. Et rares sont les disques ayant pu me faire autant vibrer en silence et laisser une telle empreinte dans mon esprit. Ce Palmless prayer/ Mass murder refrain possède une puissance et une urgence proprement indescriptibles, alors que paradoxalement les mélodies individuelles et l’harmonie générale sont la plupart du temps relativement posées.

Il s’agit de musique instrumentale, donc pas un seul texte. Composée selon l’humeur de deux ou trois mouvements pour une durée de plus de soixante–dix minutes, voilà une œuvre qui demandera également beaucoup de recul avant de pouvoir être appréciée et intégrée. Mais quelle récompense elle offrira à celui ou celle qui deviendra son amant pendant ces 70 minutes !

Quelques secondes après avoir pressé la touche Play  (en pleine nuit, les yeux fermés et l’esprit vide) l’album nous expédie dans un paysage d’apocalypse en noir et blanc, échoué au milieu de ruines dévastées sur fond d’horizon de cendres. Des bruits de pas perdus dans des débris qui s’effritent pendant un moment, puis le violoncelle qui fait entendre son ton grave, suivi par le violon. C’est à une sorte de requiem empli de regrets agonisants, mais en aucun cas malsains, que  se livrent ces deux instruments, auquel une guitare timide vient se mêler de très loin, portant ce son propre au post-rock, avant de s’effacer entièrement. Quelques notes chantées par une voix féminine complètement désincarnée se superposent aux instruments à cordes, et la guitare revient dans un mouvement perpétuel annonçant les premières percussions de l’album qui, elles, semblent fixées loin au dessus de la tête, avant une montée en puissance mettant en abîme les classiques du genre. Puis le deuxième mouvement débute avec quelques notes solitaires de piano. Et ici encore, le duo violon et violoncelle se lance dans des mélodies qu’on ne peut décrire autrement que par déchirantes. Une pause avec à nouveau ces notes chantées par des créatures célestes, puis un moment plus lourd, presque terrifiant, composé de portées filantes et d’explosions lointaines et monotones qui finissent par céder place à la guitare, puis aux cordes, à la batterie, et enfin à cet inoubliable mouvement perpétuel de sax, signature de World’s end Girlfriend. Et cette conclusion incroyable, ces quelques rais de lumière qui viennent percer les ténèbres de toute l’œuvre quelques minutes avant le final, alors que plus personne ne s’y attendait, et les cordes, apaisées, qui semblent enfin nous chuchoter pour la première fois et pour un instant seulement quelque chose d’optimiste avant le silence. Grandiose, inoubliable, éternel.

Le plus simple serait encore de signaler que durant tout le temps qu’il m’aura fallu pour composer cette tentative d’article, j’avais de la sueur dans le dos et la chair de poule au fur et à mesure que les mélodies de l’album se rappelaient à moi, comme une présence ne m’ayant jamais quitté. Qui a dit que la musique était le langage des émotions ?

En conclusion, un disque épuisant, aussi bien pour l’auditeur que les superlatifs, une réussite d’une noirceur désespérée qui n’a de cesse de grandir un peu plus en nous à chaque écoute, et qui moyennant que l’on s’offre entièrement à elle, nous fera voyager là où seuls quelques chefs-d’œuvre peuvent prétendre nous emporter.

Et c’est ce qui est fascinant avec l’exigence sans concession de cet album. Il vous tend la main, mais c’est autant une invitation qu’une mise en garde : ce n’est pas vous qui déciderez de l’écouter, c’est lui qui vous jugera digne ou pas de se livrer à vous.

Enfin… Tous ceux qui ont aimé cette œuvre savent de quoi je parle. Puissiez-vous devenir l’un d’entre eux.

 

 

September Malevolence – After This Darkness There is a Next (2008) Phantom

 

 

Comment ? Comment, lorsque l’on est féru de belles pochettes et de titres merveilleusement sombres, résister à l’appel de ce After This Darkness There is a Next ?

Ayant eu un temps le surnom “d’ Explosions in the Sky  avec des paroles”, September Malevolence est la preuve, aux cotés d’EF et de leur somptueux Give me beauty… Or give me Death ! que le “post-rock” a de l’avenir en Suède. Attendez voir… J’ai dit Post-Rock ? Ah ! Voilà pourquoi je déteste ce terme : avec le temps, il est devenu tellement mal défini qu’on a fini par y ranger tous les artistes ayant des guitares au son réminiscent des groupes phares du genre.

September Malevolence n’est pas du Post-Rock, et quitte à éjecter tous les points négatifs, sachez-le, l’album est loin d’être parfait. Tout d’abord, il y  la qualité d’enregistrement qui est franchement moyenne. On se retrouve avec la malheureuse impression  que la scène sonore est un peu étouffée et manque de dimension, que pas mal de détails se perdent dès que les morceaux deviennent plus chargés. Ensuite, il y a les textes, ou plutôt l’adéquation des textes avec les mélodies qui nous laisse avec le sentiment que l’aspect musical et l’aspect  verbal ont chacun été conçu indépendamment, puis collés l’un sur l’autre avec parfois (et seulement parfois) un peu trop de pugnacité (difficile par exemple de placer le mot economical dans une chanson sans que celui-ci ne détonne s’il n’est pas au bon endroit).

Et pourtant…Pourtant il y a ce I shut doors and windows, chanté en duo avec Emilie Molin, et Moments, deux titres magnifiques portés par la rage du rock instrumental, parfois totalement maîtrisée, parfois entièrement déchainée, et par les paroles simples et émouvantes de Martin Lundmark. Et cet ensemble touche en plein cœur. Si vous avez lu des livres tels que Génération X de Coupland ou Moins que zéro d’Easton Ellis, vous vous souvenez sans doute de la sensation qui vous est restée après la dernière page : un peu de désoeuvrement, un peu de tristesse, et beaucoup de nostalgie liée à cette impression de jeunesse perdue et de lieux et de moments oubliés. C’est cette même impression qui se dégage de ces morceaux. “Start the car and just drive, last time we met, something between I miss you and goodbye”, que c’est beau !

Contrairement à ce que sa pochette pouvait laisser suggérer, After This Darkness There is a Next n’est pas un album fait de désespoir et de ténèbres impénétrables. C’est une œuvre d’une véritable sensibilité qui, boosté par les titres précédents, demandera quelques écoutes pour être pleinement apprécié. On distinguera finalement la ligne directrice d’ensemble, entre la tension de The descent, enfant illégitime de Codeine et Explosions in the sky, l’amertume de Who watches the watchmen ? et la beauté justement placée de la guitare sèche dans des titres comme All lies et A notion I can’t shake .

Un bien beau disque, difficile à cerner et lui aussi très exigeant dans son écoute, mais dont le feeling général le destine, heureusement, plus aux soirées nostalgiques à la lumière déclinante qu’à l’Apocalypse.

 

 

Bat for Lashes – Fur and Gold (2007) Caroline Records

 

 

Voilà un album qui s’apparente simplement à un joyau, découvert lors d’une aventure solitaire en forêt sur fond de douces couleurs sépias, et qui, par sa beauté et sa rareté nous fait sans cesse osciller entre l’envie de le conserver pour nous, jalousement, et le besoin brûlant de le faire découvrir aux autres.

Cette rareté, ce disque l’obtient en réussissant à créer une atmosphère mystérieuse, remplie d’amour et de magie, atteignant une amplitude incroyable et presque aux antipodes des trois albums cités plus haut. Ici, violons, harpes, marxophone, trompette, trombone, orgue et claviers communient avec les instruments classiques et nous laissent sur certains titres nous demander s’ils n’ont pas été enregistrés dans une forêt issue d’un univers aux confins du réel, peuplée de créatures mystiques. The Wizard, Seal Jubilee ou Horse and I sont de parfaits exemples de cette musique aux couleurs d’un autre monde. Beaux, profonds, troublants, éthérés, choisissez votre superlatif.

Bat For Lashes est porté par la magnifique Natasha Kahn, dont les influences auraient pu aller des années 80 à Cat Power, Björk ou Lisa Germano. Mais ce qui est le plus touchant dans ce Fur and Gold, et ce qui lui donne toute sa personnalité, c’est ce sentiment de noblesse et de classe qui émane de chaque morceau, de la voix suave et d’une beauté brûlante de Natasha Kahn, qui rappelle parfois dans le fond la douce intensité de Feist (même si de l’aveu d’une amie éloignée, Feist serait à Bat for Lashes ce que Carla Bruni est à Kate Bush. J’avoue ne pas être foncièrement d’accord avec la première partie). De ce fait, chaque titre est un univers dans lequel la chanteuse song writer s’implique sans retenue. Une belle anecdote voudrait que Natasha ait fumé cigarette sur cigarette avant d’enregistrer les paroles de sad eyes, malade et blottie sous une couette, pour avoir un timbre de voix plus rauque et triste. Cette noblesse et la générosité de cette artiste à fleur de peau, et ce aussi bien dans ses chansons que dans les booklets présents dans ses CD, sont remarquables. C’est remarquable d’insuffler autant de grâce, de nostalgie et de délicatesse dans une musique tout en y injectant une énergie palpable, et surtout, l’envie évidente de délivrer quelque chose de pur, de saint. De beau.

Aussi, la dernière page du livret de Fur and Gold nous transmet ces mots : “Thank you, to all the teachers and travellers, brothers and lovers, mothers, creatures, fighters and dreamers” Cette unique phrase suffit à me fait rêver.

Alors un conseil musical : si un jour vous hésitez entre la tête et le coeur, écoutez plutôt le cœur. C’est pour ça que vous en avez un.

 

2 Réponses

  1. Vincent
    Perrau

    Fur for gold est vraiment un album intéressant!
    J’ai vu Bat for lashes une seule fois en concert, c’était vraiment bien et elles se sont payées le luxe de faire la première partie de… Radiohead (rien que ça) aux arênes de Nîmes. A ce qu’on dit, ce serait Yorki qui les aurait choisi et proposé à leur tourneur!

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  2. aline

    Superbes critiques! Je vais m acheter fur for gold et two suns et peut être carissa apres. Merci!

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