L’histoire commence en 1985. Ferruccio Lamborghini est attablé avec Paolo Stanzani, Marcello Gandini et le concessionnaire Romano Artioli. Les bouteilles de Valpolicella s’enchaînent. Lamborghini fait part de son projet: A l’image de la toute nouvelle Porsche 959 dont les bons de commande font l’objet d’une spéculation folle, le prix des supercars s’envole. Il souhaite se relancer dans l’automobile sportive. Il a humblement songé à une marque: Ferruccio.
Artioli propose une autre marque au passé prestigieux: « Hispano Suiza »?
Devant le manque d’enthousiasme de tous ces grands de l’automobile qui le regardent de haut, Romano Artioli décide de faire son chemin tout seul, il ne souhaite pas lancer un pastiche de Lamborghini. Il aborde alors la SNECMA, propriétaire de la marque Hispano et se rend compte que le nom de Bugatti est aussi disponible pour une éventuelle branche automobile! Pour quelques millions de francs, il rachète la marque et crée la société Bugatti Automobili Spa en 1987.
Pour construire une grande voiture de sport, pas question de s’installer dans un garage, il faut une grande usine. Romano choisit la banlieue de Modène car de nombreux artisans de la formule 1 résident à proximité. Berceau de la Supercar italienne, Modène se trouve dans la région natale du père fondateur, Ettore. Il achète un terrain de 75 000 M² qui accueillera une usine de 13 000 M². Ultra moderne, elle ne dispose cependant d’aucun robot: l’assemblage des autos y sera réalisé entièrement à la main. Artioli met 1 Milliard de francs sur la table. C’est le designer Giampaolo Benedini qui signe le bâtiment. C’est seulement sa quatrième oeuvre en tant qu’architecte. Plus tard, Benedini dessinera aussi sa première auto: l’EB 110, suite à un différend entre Artioli et Gandini. Enfin, en 1994, il travaillera sur les premiers dessins de la Lotus Elise.
L’usine est composée de cinq modules: La tour vitrée accueille les bureaux, le bâtiment bleu de France, les bancs d’essai moteur qui servent à climatiser l’ensemble de l’usine. Derrière se trouve l’atelier de réception, à droite, la chaîne d’assemblage. Rien n’est trop beau pour la renaissance de la marque. Les initiales du père fondateur se retrouvent partout dans le bâtiment. Le plafond de la salle de réception reprend la forme d’une type 37. La porte du bureau d’Artioli provient de l’usine de Molsheim, c’était celle du bureau d’Ettore.
L’EB 110 est présentée en 1991 sur le parvis de la défense. Devant plus de 5000 journalistes, c’est Alain Delon qui soulève la bâche: L’originale carrosserie bleu de France arbore la calandre en fer à cheval disparue depuis 1963. La carrosserie en aluminium abrite un châssis en carbone et un V12 60 soupapes quadriturbos qui transmet ses 560 chevaux aux quatre roues… Malheureusement, la jolie Bugatti ne sera jamais rentable. L’absence d’automatisation rend sa production laborieuse: tandis que Ferrari assemble une F40 en une journée, il en faut 24 pour faire une EB110. La tringlerie de commande de la boite coûte à elle seule 40 000 francs, le prix d’une petite auto. Dans un souci de perfection, Artioli fait ramener aux frais de l’usine toutes les autos vendues à chaque fois qu’un innovation est appliquée sur les nouveaux modèles. Pour chaque vente, dix techniciens se déplacent chez le client pendant une semaine… Enfin, l’EB 100 ne sera jamais homologuée aux USA, marché principal des supercars concurrentes.
Pour être rentable, l’EB110 devait trouver 150 propriétaires par an, c’est à peine ce que l’usine réussira à produire en deux ans et demi.
En 1995, les 100 derniers ouvriers trouveront porte close. L’entreprise est liquidée. La marque est rachetée par… Volkswagen tandis que Dauer rachète les coques non terminées. Les prototypes d’EB110 et l’EB112 seront repris par Guildo Pastor, futur propriétaire des automobiles Venturi.
L’usine sera rachetée par un équipementier automobile qui déposera le bilan avant de prendre possession des locaux. Aujourd’hui, le logo a été effacé à la demande de Volkswagen mais les lieux sont étonnamment préservés: même la porte du bureau d’Artioli est encore en place…
Impressionnant et triste, des souvenirs pourtant toujours frais pour moi cette EB 110, je me souviens en avoir croisé une près de Pontarlier, et il me semble une autre place Vendôme.
Son esthétique bizarre a presque mieux vieilli que la version VW. En tous cas elle me semble plus en accord avec l’esprit Bugatti.