C’est avec une vive émotion et même une subtile touche de mélancolie que je me rappelle de mes premières rencontres avec le whisky. Nous étions à peu près en 1996 et mon expérience avec l’alcool se résumait à quelques soirées passées en compagnie d’un camarade surnommé “Porto” pour sa fine moustache, sa corpulence massive et son regard de pervers dangereux qui renvoyait l’inconscient collectif aux stéréotypes de Portoricains dans les séries US datant de ces douces années.
A l’époque, outre une douzaine de 33 Export chaudes, les quelques alcools que je consommais avec fébrilité (dont ces bouteilles de 2 litres de spiritueux en matière plastique pour que, même saoul, on évite de s’ouvrir les veines avec) me ramenaient tous à une indéniable conclusion : tous les whiskies du monde étaient présents dans la superette Cora du village voisin, et la recette évidente pour faire du whisky était la suivante : alcool, céréales Kellogg’s fermentés et urine.
Pourtant, quelques années plus tard, je devais découvrir avec émerveillement grâce à un Armagnac de 1978 la complexité absolument choquante des beaux alcools (celui-ci semblait pétri dans les notes de cuir, de feuilles de tabac, de bois brûlé et de fruits noirs virevoltant lors d’une finale éternelle), et me promettais dès lors de découvrir de temps en temps une nouvelle gamme, marque ou bouteille pour mon propre plaisir et celui de mes amis épicuriens amateurs.
Après avoir écumé la sympathique gamme des Johnny Walker, tous pas mal du tout à l’exception du Black Label (que je n’arrive décidemment pas à apprécier, même déjà ivre et inconscient) et du Blue Label (whisky qu’on apprécie de boire non pas parce qu’on sent qu’il est bon, mais parce qu’on sait qu’il est cher), je me décidais avec une certaine appréhension à tenter la gamme de son concurrent Irlandais, Bushmills, venue au monde grâce au bienheureux Sir Thomas Phillips qui reçu en 1608 sa “License to distill”, et incroyablement trop peu connue du grand public.
“License to distill”.
“License to distill”.
“License to distill”.
Bushmills Original
Décrit comme “tendre et moelleux” par sa propre étiquette, l’Original est la bouteille la plus abordable de la gamme, soit une vingtaine d’euros pour un blend distillé trois fois à la charmante couleur caramel.
Les bouteilles de la gamme Bushmills sont souvent qualifiées, sans la moindre péjoration, de “whiskies de nez”. Comprendre que toutes les créations de la distillerie, et cela est de plus en plus vrai à mesure que l’on monte en gamme, sont vraiment fantastiques du point de vue de l’olfaction et de la rétro-olfaction, et ce Bushmills Original est une assez bonne introduction au travail des irlandais. Pas de bouchon en liège sur cette édition, on se contentera donc de respirer les arômes à quelques centimètres du col de la bouteille, dont le nez évoque un whisky à la texture subtile, épaisse, presque “grasse”. On note une noix de coco crémeuse, une touche de vanille évidente et plus subtilement une petite touche boisée. L’ensemble laisse une impression de fraîcheur un brin pétillante.
Une fois en bouche, le whisky est étonnamment doux, légèrement sucré et surtout sec en rapport avec la première approche olfactive largement plus complexe. On trouve ici une autre caractéristique de la gamme, qui est une impression assez déroutante de boire un whisky bipolaire, qui à un instant va laisser s’exprimer tous ses arômes et qui la seconde d’après va être tout en retenue, ne laissant savourer presque qu’un avant-goût. Des quatre bouteilles présentes dans cet article, seul le Black Bush échappe à cet effet. Qu’on se rassure néanmoins, aussi insolite que soit cette sensation, celle-ci s’estompe au fur et à mesure. Peut être est-ce dû à l’aération de l’alcool ou au palais qui s’habitue, toujours est-il que quelques jours après l’ouverture de la bouteille, cette perception en deux tons se sera affinée et ajoutera une complexité supplémentaire à l’ensemble
La finale est relativement courte et dans la lignée de l’impression au palais, plutôt sèche et rappelant enfin la noix de coco veloutée ainsi qu’une pointe d’épices. L’Original est un whisky étonnant lorsqu’on est habitué aux scotchs dans la même gamme de prix. Même si je le préfère à un Red Label, je ne le conseillerais pas à quelqu’un voulant s’initier à “l’esprit” Bushmills, principalement à cause du contraste entre le nez et le palais qui risque de contrarier plus que de séduire. En revanche, l’amateur de Pot Still irlandais pourra à juste titre être tenté en apéritif ou dans un bar sympa pour un prix raisonnable. Ce sera surtout l’occasion, à force d’être intrigué, de dépenser 7 ou 8 euros supplémentaires et de se s’offrir l’une des deux bouteilles, nettement plus élaborées, qui suivent.
Bushmills 10 ans et Bushmills Black, “Black Bush”
Bushmills 10 ans et Bushmills Black, “Black Bush”
Deux bouteilles qui ont beau naviguer dans les mêmes eaux tarifaires (aux alentours des 28-30 euros) mais qui cultivent deux identités bien distinctes.
Le 10 ans pour commencer (maturé dans des fûts de Sherry en chêne), m’a immédiatement donné l’impression d’être un Original en version “+ +”. Un nez plus doux, avec ce feeling mono-aromatique beaucoup moins présent laisse découvrir un équilibre harmonieux entre le caramel léger et le sucre malté, la pomme acidulée et toujours une petite note de vanille.
Si l’Original devenait plutôt sec une fois en bouche, le 10 ans est quant à lui nettement plus léger et fidèle à ses premières impressions olfactives. Toujours cette sensation un peu huileuse au palais qui ne diminue en rien sa sophistication : les arômes perçus au nez se retrouvent et se mêlent avec une sensation crémeuse, boisée et pourvue de légères touches de miel en arrière plan.
La finale est relativement courte comparée à d’autres whiskies irlandais tels que le Redbreast 12 ans. Elle nous laisse savourer une sensation plus sèche qu’au palais, nous offrant le goût du quatre-quarts et distillant quelques touches de vanille et d’herbes vertes. Cette finale ne nous laisse aucunement sur une déception, juste sur l’envie de retourner à cette bouteille diablement bien fichue, équilibrée, et parfaitement représentative de l’identité caractéristique de la marque. Un whisky élégant et subtil, pas forcément facile d’approche mais pas non plus impossible à apprivoiser, qui fera passer un bon moment à l’amateur éclairé.
amateur éclairé
amateur éclairé
Le Black Bush n’est quant à lui, selon mon humble opinion, rien de moins que l’un des tous meilleurs rapports qualité-prix disponible sur le marché des whiskies irlandais et des whiskies tout court.
Blend haut de gamme au prix incroyablement raisonnable, si ce whisky est si prisé des amateurs et des revues (noté 9/10 par Whisky Magasine) c’est car il réussit à conserver l’identité de fond de la marque, tout en se démarquant par sa complexité et sa subtilité. Pas nécessairement plus riche, mais nettement plus punchy que les deux bouteilles précédentes, le Black Bush est un véritable plaisir à toutes les étapes de la dégustation. Le nez ouvre d’emblée sur les senteurs de bois de chêne et de praliné. Pour la première fois, l’héritage des fûts de Sherry se fait évident et assène de véritables notes fruitées (fruits rouges, fruits noirs). Certains décèlent après aération une touche de café torréfié, en ce qui me concerne je passe complètement à coté et trouve au contraire que les arômes de fruits et surtout de bois reviennent de plus belle.
Au palais, le whisky est rond et plein de cohérence, toujours avec cette note grasse et crémeuse mais qui cette fois, ne choque absolument pas. On se retrouve en bouche avec des saveurs de fruits confits et de fruits secs et l’ensemble se termine en évoquant la pâte d’amande et le loukoum à la violette et à la rose. Puis on se retrouve, enfin, avec une finale longue à la fois soyeuse et légèrement épicée, maltée, et réussissant à s’affranchir de l’impression de rudesse laissée par le 10 ans et l’Original.
A la fois éminemment doux et facile d’approche tout en étant paré d’une complexité de saveurs encore une fois incroyable pour un tel prix, le Black Bush est une bouteille fantastique, équilibrée, et absolument incontournable. Son concurrent “de gamme” chez Johnny Walker, le Green Label (également le moins connu de la marque) est plus cher, plus frais et plus explosif au premier abord, mais en même temps un peu monotone et légèrement agressif par la suite.
la suite.
amateur éclairé
Bushmills 16 ans
Attention, pure merveille ! Offert par un ami aux goûts ouvertement iconoclastes (je lui dois par exemple la découverte de l’Ardmore qui, faute d’être un whisky respectable, m’a grandement dépanné puisque j’ai découvert qu’en cas d’avarie mécanique il était possible de le substituer à l’essence sans plomb) le Bushmills 16 ans Single Malt est ma plus belle découverte depuis un bon moment.
Ceux parmi vous qui reviennent fréquemment sur le site savent tout le respect, voire la fascination que l’équipe d’AutoReverse porte au Redbreast 15 ans. Et bien j’ose le dire, le 16 ans est à mon sens un cran au-dessus car plus doux, plus complexe, et en même temps nettement plus chaleureux. Le whisky est affiné durant 16 ans dans trois types de fûts différents (Sherry, Bourbon et Porto) et cette méthode de vieillissement permet de proposer pour un prix vraiment attrayant (jusqu’à 70 euros en caves, 45 euros en GMS avec un petit brin de chance) l’un des meilleurs irlandais qui existe.
Pour un vieux rustre blasé comme moi, à l’olfaction, ce whisky est un pur bonheur. Ici le terme de “whisky de nez” trouve toute sa signification, et on pourra alterner entre le liège du bouchon et le col de la bouteille pour percevoir les arômes juteux, frais et parfumés qui laissent place au bois fumé, à un soupçon de cuir et de coquille de noix. L’ensemble est d’une rondeur et d’une cohérence impeccable qui laisse en filigrane une petite idée de la qualité de l’alcool qu’on s’apprête à savourer. En bouche, ce 16 ans est formidable par sa subtilité nous donnant une sensation presque sirupeuse (toujours ce coté huileux propre aux Bushmills), et par son ton incroyablement sucré (pour un whisky). Une rondeur fantastique ici encore, qui revient sur les arômes perçus au nez en amplifiant le caractère boisé, la pèche confite et le miel de Manuka.
La finale est un peu courte mais intense, elle revient avec force sur son côté boisé, et plus légèrement sur les fruits rouges, pour laisser une impression d’ensemble douce, magnifiquement chaleureuse, harmonieuse et presque apaisante.
apaisante.
apaisante.
La gamme Bushmills est d’une grande cohérence, et chaque whisky, tout en ayant une identité propre, partage avec ses aînés quelques traits de caractère. Une superbe distillerie irlandaise ayant donné vie à des whiskies, surprenants, vivants, extrêmement plaisants, et pour couronner le tout accessibles au portefeuille du commun des mortels.
ccessibles
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