Stan Lee l’avait bien compris: ce qui fait rêver les hommes c’est le héros capable de soulever des immeubles, voler à travers l’univers et porter son slip par-dessus son pantalon en faisant comme si de rien n’était. Dans l’automobile il en va de même: Pour vendre des Fiat Uno à la pelle, il faut qu’on sache qu’elle descend d’une 288 GTO qui dépasse 300 km/h et accélère plus vite qu’une balle de golf, tout en étant incapable de franchir un simple dos d’âne de supermarché.
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Tandis que devenir un super-héros reste impossible, jusqu’à preuve du contraire, ils seront nombreux à relever le défi de renverser les ténors établis pour proposer aux riches pétroliers nord-africains LEUR vision de l’automobile superlative. Voici quelques-uns de ces rêves ambitieux, concrétisés en carrosseries plus folles les unes que les autres, souvent pour aboutir à un magnifique plantage commercial.
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Vector W2
Superfaiblesse:
√Technologie de pointe / (Ambition² + Mauvais goût²)
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Dans les années 70, tout le monde rêve de son wedge: Bertone, Alfa, Pininfarina, Dome, Citroën… et Jerry Wiegert. Ce consultant stagiaire en design auprès de Ford, Chrysler et GM crée sa propre société en 1971 qu’il nomme sobrement Vehicule Design Force. Son objectif est de donner naissance à une vraie supercar américaine, moderne et puissante. En 1972, associé à Lee Brown, il présente sa première maquette: « The Vector ». Annoncée à 10 000 $ avec un moteur rotatif (quitte à se tirer dans le pied, autant le faire avec un lance-roquettes!), l’auto fait le tour de nombreux salons et soulève un intérêt important. Motivée, l’équipe poursuit son développement, qui s’avère bien plus complexe que prévu. Las, en 1977 Lee Brown quitte l’affaire. La société est alors renommée Vector Aeromotive et présente sa W2 dans la foulée.
En 1979, le prototype est roulant et a parcouru 160 000 kms. Le moteur retenu est un V8 Donovan de 5,7 litres, avec injection et 2 turbos. Il produit 600 chevaux et propulse l’auto à plus de 380 km/h (ce que personne n’a bien entendu eu l’occasion de tester…).
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Wiegert est alors jeune, ambitieux et charismatique. Pondant des tirades telles que :
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« The idea is to build a reputation,
not to ride on one »
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Il se retrouve à faire le tour des magazines. Road and Track juge la W2 fantastique et la fait accéder au rang convoité de voiture la plus rapide du monde, tandis qu’ils persistent à considérer Wiegert comme un homme aussi ambitieux qu’Enzo Ferrari, mais sans son talent, sans sa réputation et sans ses dizaines d’années d’expérience!
Malheureusement, l’essentiel de la supercar n’est pas là: le machin pèse presque deux tonnes. Mû par une boite automatique transaxle à trois rapports, ses mises en routes sont plutôt laborieuses. Mais le design de soucoupe volante, les blondes déshabillées posées dessus et le tableau de bord d’avion furtif feront fureur dans les chambres d’adolescents. Faute de budget, la W2 ne sera jamais produite en série. Il faudra attendre encore dix ans pour voir la commercialisation de la W8, en 1989. 17 exemplaires seront vendus avant la faillite définitive de Vector. Wiegert avait certainement l’ambition de Ferrari, mais pas ses clients.
Dans les années 90, Vector sera repris par un obscur consortium indonésien qui tentera de relancer une version modernisée de l’auto avec un V12 Lamborghini. Encore un loupé.
En collection, nul besoin de préciser que la Vector W8 est rare. La dernière à avoir rencontré une maison d’enchères s’est vendue plus de 250 000 €…
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Tatra MTX
Superfaiblesse:
( Design bateau – Performances ) x Extincteurs non révisés
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Nous sommes à la fin des années 80. L’activité utilitaire du constructeur tchèque se porte plutôt bien tandis que sa division automobile disparaît peu à peu sous la poussière des lustres passés. Seule la 613 subsiste et son V8 arrière refroidi par air peine à garder sa place sur le marché global de deux ou trois voitures annuelles qu’elle se dispute avec Bristol.
Le carrossier Metalex, sur un dessin de Václav Král arrive alors avec une idée saugrenue: Pourquoi pas une Supercar? Le V8 à air est poussé à 300 chevaux, posé sur un châssis semi-tubulaire et emballé avec une coque en fibre de verre.
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Pesant 1350 kg, la Tatra MTX est capable d’accélérer de 0 à 100 en 5,6 secondes pour atteindre une vitesse maxi de 265 km/h, faisant d’elle la voiture tchèque la plus rapide de tous les temps (?!)
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Présentée au salon de Pragues en 1991, elle attirera plus de 200 acheteurs, convainquant Tatra de lancer une série de 100 exemplaires. Malheureusement, un feu dans l’usine anéantira ses chances de rencontrer le marché et seuls les quatre exemplaires de présérie subsisteront. Elle gagnera ses lettres de noblesse auprès de Kayne West lors d’une apparition fugace dans son clip « Runaway ».
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Panther 6
Superfaiblesse:
Bizarrerie + Budget x Complexe solution technique à un problème inexistant²
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La marque Panther Westwinds commercialise depuis 1972 des modèles d’inspiration rétro: La J.72, réplique de SS100 mue par les 6 et 12 cylindres Jaguar, la FF, réplique de voiture de manège mue par une V12 Ferrari (c’est la seule voiture au monde dont on peut entendre le moteur pleurer), la Rio ou encore la tentative Lazer (un buggy avec moteur Jaguar, peut-être celui-ci aussi pleurait-il, du moins, quand il daignait démarrer…). Toutes ces voitures étaient fabriquées en aluminium, répondant à des standards de qualité élevés à défaut d’un design soigné.
Le cabriolet Panther 6 est présenté à la Motorfair de Londres en 1977. C’est une des rares automobiles à disposer de six roues. Si cette solution originale est souvent justifiée par des besoins techniques tels qu’abaisser l’avant pour une meilleure aérodynamique, mieux répartir un poids imposant, mais concernant la Panther 6, à posteriori la seule explication de ce choix par son créateur était:
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« 6 wheels are
better than 4″
Robert Jankel
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La motivation initiale étant plus vraisemblablement de récupérer gratuitement la notoriété de la Tyrell P34. Les excès ne s’arrêtent pas là: à l’arrière de la voiture est monté un V8 Cadillac de 8,2 litres gavé par deux turbocompresseurs pour une impressionnante puissance de 600 chevaux, lui permettant d’atteindre 325 km/h, soit 20 de plus qu’une BB512 ou une LP400S. A l’intérieur, téléphone, télévision, compteurs à affichage digital -soit disant fabriqués en interne- et climatisation de camion viennent agrémenter le voyage du businessman en quête de sensation modérément fortes.
Panther produira deux prototypes. Dubitatifs, deux magazines auront l’occasion de les tester et trouveront des autos plutôt bien conçues: sûres aussi bien sur le sec que le mouillé, plutôt maniables et extrêmement confortables.
Mais voilà: la jeune firme Panther a voulu grandir trop vite et le faible retour sur investissements de la Rio, développée en parallèle, aura raison de l’entreprise avant même que la Panther 6 n’entre en production.
La Panther en photo est la seconde produite, la première, en conduite à droite, ayant disparu au moyen-orient. Elle s’est vendue 41 000 € en 2011 à Monaco.
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MG X-POWER SV
Superfaiblesse:
(Budget évanescent + Design ordinaire ) / Mondialisation
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Tout commence en 1993. Giordano Casarini, directeur technique chez Maserati, est impressionné par la TVR Griffith lors d’un de ses voyages à Londres. Il fait part de sa découverte à son vieil ami Alejandro pour lui proposer de faire de sa marque, De Tomaso, une TVR à l’italienne. Alejandro, alors dans une panade pas possible, est prêt à accepter toute bonne idée. Il envoie une Griffith à Marcello Gandini et lui demande de dessiner la même. Il se fait prêter quelques blocs V8 par Holden (avant de récupérer des Ford Modular), puis il présente son prototype à Modène en 1996. Les finances manquant, De Tomaso appel au secours la famille Qvale, fameux importateur d’exotiques aux US, pour obtenir une rallonge.
La voiture est ainsi lancée en 1999, sous le nom de De Tomaso Mangusta. La famille Qvale apprend alors que l’argentin détourne l’argent de la Mangusta pour développer une nouvelle Pantera et leurs accords prennent fin. Qvale récupère les droits de l’auto et poursuit sa commercialisation sous le nom de Qvale Mangusta. L’usine étant restée à Modène, les coûts de revient imposent de vendre la voiture 84 000$, pour une production annuelle de 600 unités. A ce prix, elle se positionne face à Porsche et quelques autres constructeurs renommés avec une auto entièrement composée d’éléments de Ford Mustang, qui se conduit comme une Ford Mustang et qui est finie comme un kit car… En deux ans, Qvale arrivera à fourguer 284 voitures, essentiellement sur le marché américain.
Nous sommes alors en 2000. BMW a revendu MG-Rover au Phoenix Consortium pour 10£. Peu de temps après, Bruce Qvale prend contact avec les quatre directeurs de Phoenix pour se débarrasser de son boulet. Il fait miroiter l’ouverture du marché US, la puissance de l’image d’une supercar pour reconquérir des parts de marché et….
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Alors que MG-Rover est au fond du trou, sans aucun nouveau produit, perfusé à l’argent public, le groupe investi sept millions de livres dans une voiture conçue à l’arrache il y’à presque dix ans.
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Le projet X80 est ainsi dévoilé à Francfort en 2001. Le résultat est…. décevant. Peter Stevens va en urgence modifier la ligne pour lui donner un peu de caractère, trop diront certains. En 2002, la MG X Power est enfin disponible en pré-commande. De série, carrosserie en fibre de carbone, gros V8 de 320 chevaux pour la version SV d’entrée de gamme et 385 chevaux pour la version SV-R. Vendue entre 65 000 et 85 000 £, elle trouvera 84 acheteurs avant de péricliter une nouvelle fois avec le groupe Rover en 2004.
Enfin, en 2008, William Riley (un soit disant descendant de la famille Riley) rachète la marque X-Power et continue la production du modèle. Il fait rêver le quidam en scandant qu’une version au nitrométhane et disponible avec plus de 1000 chevaux. Il vendra trois SV de plus avant de partir dans une faillite conjuguée à des histoires de vol…
Lister Storm
Superfaiblesse:
Détermination / (Fiabilité Jaguar x Design questionnable)
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George Lister & Sons produisait dans les années 50 des automobiles de course et de route motorisées par MG, Jaguar, Maserati, Chevrolet et autres… En 1986, Lister Cars est re-fondé par l’ingénieur Laurence Pearce. Pour la modique somme de 100 000 £, Lister offrait à ses clients une Jaguar XJS V12 capable de 320 km/h. 90 acheteurs seront tentés par le big cat, confortant Pearce dans ses projets automobiles.
En 1993 est donc présentée la Lister Storm. Equipée du plus gros V12 produit après guerre, chipé à une XJR, la Lister Storm est un coupé 2+2 à moteur central avant de 1664 kgs. Le 7 litres produit 546 chevaux et 790 nm de couple, une valeur encore étonnante aujourd’hui. Avec un 0 à 100 avalé en 4,1 secondes et une vitesse de pointe de 335 Km/h, la Lister Storm restera jusqu’en 2006 la voiture de route à quatre places la plus rapide du monde.
Mais à l’époque elle devait se battre avec les F40, McLaren F1 et autres Jaguar XJ220. En plus de son poids élevé, son prix de vente de 370 000 £ n’a jamais aidé à accepter son physique disgracieux. Pearce possédant plus d’un tour dans sa manche, il va utiliser l’arme de la compétition pour faire connaître sa voiture. En 1995, il inscrit la Storm GTS aux 24 heures du mans: la boite lâche et la Lister ne termine pas l’épreuve. Il récidive 1996, mieux préparé: la Storm termine la course, mais à la 19 ème place. Sur la suite du championnat BPR, elle ne terminera plus une seule course. En 1998, nouvelle tentative, nouvelle défaite avec un abandon en début de course.
Au final, quatre Storm seront vendues avant la faillite de Lister, trois roulent encore aujourd’hui. Les côtes sont étonnement soutenues: quand un exemplaire apparaît sur le marché, il s’échange entre 150 et 200 000 €.
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Sans être persuadé d’avoir été mordu par une pipistrelle dopée au Red Bull, il nous est difficile de décider si se lancer dans le vide et s’écraser au sol est une clé de l’évolution ou simplement un acte innocent et inutile.
Panther, Vector ou X-Power ont cependant eu le mérite d’essayer. Ils ont réalisé ce rêve qui hante les nuits des gearheads du monde entier. Aujourd’hui encore, de la Devel, limousine de 5000 chevaux, jusqu’à la Quant, mue à l’eau de mer, en passant par la renaissance ultime d’Hispano Suiza, François Reichelt ne semble pas avoir marqué les mémoires de tous nos apprentis super-héros…
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Car And Driver Vector W2 review
MG X-Power: L’automobile sportive
Vos articles,Hugo,sont toujours absolument géniaux.Vous êtes bien le seul ,dans le domaine de la bagnole,qui me fasse toujours bien marré.
Un seul défaut,le temps entre chaque papier,mais j’imagine bien que vous avez autre chose à f… .
Merci Fritz! Je fais de mon mieux, et c’est promis, je vais trouver du temps pour écrire plus régulièrement. (J’ai quand même 30 brouillons en attente…)
Si la GT Lister Storm a connu de méchant bides aux 24 heures du Mans, le résultat en FIA GT a été bien différent avec un titre en 2000 et de nombreuses victoires et podiums jusqu’en 2003, année où Pearce lance la Storm LMP, proto dont le design n’est pour le coup pas anodin, qui ne connaîtra aucun autre succès que d’avoir marqué les mémoires avec son design avant-gardiste et son grognement de Corvette (V8 Chevrolet dérivé de celui de la C5R).
C’est vrai. La LMP était plutôt réussie, dommage qu’elle n’aie jamais été produite !